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Quand les agriculteurs deviennent entrepreneurs

le vendredi 17 mai 2019
Modifié à 13 h 04 min le 17 mai 2019
Un texte de Martin Ménard - Collaboration spéciale de La Terre de chez nous Un mouvement clair se dessine présentement : un nombre grandissant de producteurs québécois deviennent des hommes et des femmes d’affaires aguerris. L’évolution des aptitudes entrepreneuriales d’agriculteurs est évidente pour Vincent Giard, responsable du territoire québécois chez Financement agricole Canada. «On est passés de producteurs à entrepreneurs. Les fermes sont maintenant des PME et sont gérées comme telles», explique-t-il avec conviction. Comme la nouvelle génération est davantage formée, il constate que «chaque dollar doit être maximisé comparativement à il y a 20 ans, où des exploitations qui faisaient un budget, on ne voyait pas ça souvent». Savoir s’entourer À 38 ans, Caroline Pelletier savait que le lait de ses 30 vaches Jersey pouvait être valorisé davantage. Elle a donc convaincu son créancier de lui accorder un prêt de 1 M$ pour construire sa propre fromagerie à Bedford, en Montérégie, où elle lance cette semaine le «lait du futur . L’an dernier, l’acériculteur Mathieu Toupin a démarré une érablière de 15 000 entailles, à Trois-Rives, en Mauricie, et il n’a pas hésité à débourser près de 4000$ pour s’entourer de conseillers financiers et techniques qui lui permettront d’atteindre rapidement les objectifs de son plan d’affaires. «Il faut se demander comment on peut faire plus d’argent en agriculture», dit celui qui entreprend déjà des démarches pour vendre son sirop d’érable à l’étranger. Gérald Lavoie, quant à lui, a décidé d’investir 2 M$ l’an passé pour agrandir et moderniser sa ferme laitière biologique de La Matapédia, au Bas-Saint-Laurent, et ce, même s’il cumulait déjà une dette de 1 M$. Il a eu recours à un coach d’affaires pour devenir plus proactif, voire audacieux dans ses décisions d’entreprise. Ces exemples ne surprennent pas Manon Théorêt, responsable des comptes agricoles pour le Québec à la Banque Royale. «Le monde agricole a changé. Les investissements sont plus importants qu’avant et l’équipement est plus sophistiqué. Les producteurs s’entourent. Ils sont ouverts à recevoir des conseils et à se faire challenger. Nous sommes dans une nouvelle ère et ça ne finit pas d’évoluer», estime-t-elle. Concrètement, les agriculteurs doivent aujourd’hui jongler avec des investissements plus importants qui nécessitent une plus grande analyse. En 10 ans, le prix des terres a grimpé de 119%, celui des tracteurs et de la machinerie a doublé, tandis que le coût de construction des bâtiments d’élevage a augmenté de plus de 30% en cinq ans. Changement de langage En poste à La Financière agricole du Québec depuis 29 ans, André Picard reconnaît que le langage a changé. «Avant, il ne fallait pas trop parler des chiffres ni des revenus dans le milieu. Aujourd’hui, les producteurs partagent davantage ces données et veulent s’inspirer des modèles d’affaires des meilleurs», mentionne le vice-président au financement. L’Université Laval a d’ailleurs mis sur pied une formation de 10 jours axée spécifiquement sur l’entrepreneuriat agricole. Elle accueille sa quatrième cohorte de producteurs prêts à débourser 7000$ chacun. «C’est populaire, confirme le doyen de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation Jean-Claude Dufour. Plusieurs personnes comprennent que pour réussir, il faut investir en soi-même. Elles diminuent ainsi leur risque d’affaires et prennent confiance en elles.» Pas tous des entrepreneurs La gestion et l’entrepreneuriat sont en train de séparer le milieu agricole en deux camps, note Vincent Giard, de Financement agricole Canada. «La situation des fermes se polarise. On le voit. Il y a maintenant les gens d’affaires et ceux qui ont moins d’habileté de gestion.» L’agroéconomiste René Roy, de Valacta, abonde dans le même sens, affirmant qu’il existe un nombre important d’agriculteurs qui ne connaissent pas bien la situation financière de leur exploitation ni leur coût de production. «Mais aujourd’hui, ce n’est pas tout de bien s’occuper de ses vaches; il faut savoir faire de l’argent», dit-il. En partenariat avec différents intervenants, Valacta a lancé une campagne en octobre 2018 intitulée Je suis chef d’entreprise, qui offrira gratuitement aux producteurs un outil d’évaluation des aptitudes d’affaires, des webinaires ainsi que des notions de gestion et d’entrepreneuriat sur Internet. Avec la collaboration de Josianne Desjardins.

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