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Plusieurs chemins mènent à une main-d’œuvre qualifiée

le mercredi 15 août 2018
Modifié à 5 h 35 min le 15 août 2018
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Cause ou conséquence directe de la situation actuelle de plein emploi, la formation professionnelle (FP) attire moins d’adeptes. Pour deux commissions scolaires de la Rive-Sud, le phénomène se fait particulièrement ressentir depuis deux ans. Dans un contexte où les jeunes deviennent travailleurs avant même d’être finissant ou de songer à s’inscrire à la FP, le système de reconnaissance des acquis (RAC) pourrait être une planche de salut. À la Commission scolaire des Grandes-Seigneuries (CSDGS), la reconnaissance des acquis «fonctionne de façon incroyable» depuis deux ans, observe la présidente Marie-Louise Kerneïs. «Autant les personnes que les employeurs veulent savoir à quel niveau ils sont rendus, pour ensuite donner une formation pointue sur les éléments manquants.» Depuis septembre 2017, la CSDGS a reçu 91 demandes de validation, ce qui se traduit en 900 compétences évaluées. Un contraste marqué avec la poignée de demandes annuelles que recevait auparavant la commission scolaire. «S’il y a un message à faire aux entreprises, c’est que la reconnaissance des acquis est une autre façon d’aller chercher de la main-d’œuvre qualifiée. Si la personne a son carnet de compétences en soudure, ou encore sait poser des pneus, et que tu as besoin de cette compétence, tu n’as pas à la former.» Une solution pour faire reconnaître les acquis et apprentissages des immigrants. «Comme accueil, c’est impressionnant», évoque Mme Kerneïs. À la Commission scolaire Marie-Victorin (CSMV), les employeurs commencent à peine à faire appel à la reconnaissance des acquis. «De plus en plus, les entreprises embauchent rapidement, mais doivent aller chercher la certification, la reconnaissance officielle. On offre la reconnaissance des acquis dans presque toutes les attestations d’études professionnelles, détaille le coordonnateur du service aux entreprises de la CSMV François Bernard. C’est une démarche bien structurée, on peut répondre aux besoins des clients, permettre à des gens d’aller chercher une formation rapidement.» Les compétences essentielles (littératie et numératie) ainsi que la francisation peuvent aussi être évaluées à la CSMV. L’attrait du marché du travail Il n’est pas rare que les deux commissions scolaires reçoivent des demandes d’employeurs qui recherchent des finissants dans un domaine spécifique. «La plupart du temps, les finissants ont déjà un emploi, relève toutefois la directrice du Service de la formation professionnelle et de l’éducation des adultes de la CSMV Nicole Breault. À part dans le programme en construction, il y a des stages en entreprise. Alors il est possible que le finissant travaille où il a fait son stage, ou ailleurs… C’est fréquent qu’on ne puisse pas répondre aux demandes des employeurs.» Convaincre tant les employeurs que les étudiants du bien-fondé de terminer les études avant d’investir le marché du travail demeure un défi, reconnaît Marie-Louise Kerneïs. L’assouplissement des règles – horaires à temps partiel, formation à distance – peut accommoder les étudiants, dans la mesure où la qualité de la formation demeure. Arrimer formation et marché du travail Selon la présidente de la CSDGS, il est important d’offrir des formations variées, même si ce n’est pas ce que demande le marché du travail dans l’immédiat. «Le diplôme d’études professionnelles, pour certains élèves, c’est le premier diplôme. Ça doit les intéresser. Dans certains secteurs de notre territoire, il n’y a pas beaucoup de monde par rapport aux distances. Si on les oblige à aller à Montréal ou à l’autre bout du monde, ça se peut qu’ils n’y aillent pas.» Arrimer la formation au marché demeure ainsi un enjeu considérable, qui suscite bien des discussions. Mais c’est le Conseil des partenaires du marché du travail qui a le dernier mot et autorise les formations. «Les employeurs disent "Vous ne formez pas ce dont on a besoin". On voudrait, mais on ne peut pas, reconnaît Mme Kerneïs. On fait des prêts de services, des commissions scolaires nous autorisent à donner des éléments manquants, mais c’est limité.» La CSDGS a récemment obtenu l’autorisation d’offrir la formation de serrurerie, que seules deux commissions scolaires offrent à travers le Québec. Du côté de la CSMV, un volet hygiène et salubrité en milieu de soins se développe, afin de répondre aux besoins des entrepreneurs. «On est en train de développer aussi une formation pour opérer les systèmes automatisés, la robotique, indique François Bernard. On est en train de bâtir une formation 4.0 qui permet à des gens d’opérer ces équipements. Ça répond à un besoin dans la région.» Vers plus de formations en entreprise En plus des programmes offerts sur un modèle d’alternance travail-études (ATE), dans certains programmes de la CSMV, la tendance est d’offrir de plus en plus de formations en entreprises. «Ça demande une grande ouverture des entreprises et une ouverture de nos centres de formation, reconnait la directrice Nicole Breault. Ça va tellement vite aujourd’hui. On n’a pas le choix de s’arrimer et s’approcher de plus en plus du marché du travail, et offrir plus de programme en alternance.» Pour le nouveau programme de serrurerie, la CSDGS envisage aussi d’augmenter la proportion de formation qui se donnerait en entreprises, passant de 30% à 50 ou 60% de l’ensemble de la formation. Des secteurs plus touchés Même si les effets du plein emploi sont bien tangibles dans l’ensemble des formations offertes, à la CSMV, on remarque certains secteurs plus névralgiques. Moins de jeunes se dirigent vers les programmes de préposé aux bénéficiaires, de soudure, de technique d’usinage, de briquetage, de boucherie, de service de restauration et de cuisine. Dans certains cas, le nombre d’inscrits demeure semblable au fil des ans en raison du nombre de places disponibles. «Mais pour inscrire ces élèves, ç’a pris plus de temps, parce qu’on n’avait pas ces candidats, évoque Nicole Breault. Parfois, on avait 50 personnes sur une liste d’attente et aujourd’hui, on n’en a à peu près pas.» «Et quand on appelle les gens choisis, le nombre de personnes qui changent d’idée, c’est incroyable», ajoute-t-elle. Et même si la tonne d’émissions de cuisine des dernières années a créé un certain engouement autour de ce domaine, le taux de roulement très élevé de la main-d’œuvre fait en sorte que les employeurs peinent à trouver de la relève. De 2015-2016 à 2017-2018, le nombre d’élèves inscrits aux programmes de cuisine est passé de 220 à 177. Les formations dans le domaine de l’alimentation seront données dès 2019 à la toute nouvelle École hotellière de la Montérégie. «Dans ces nouveaux locaux, nous pourront recevoir les entreprises, ce qui n’est pas possible en ce moment. Et ça répond à un besoin», indique Mme Breault. Entrepreneurs en devenir À la CSMV, on note une forte hausse de popularité pour le lancement d’entreprises. «Les jeunes et même la clientèle immigrante rêve de se partir en entreprise et d’être son propre patron, ce qu’on voyait moins dans les générations précédentes. Il y a une très forte progression», constate François Bernard.