Opinion

OPINION - Premier ministre d’une « crise sociale sans précédent » ?

le jeudi 16 novembre 2023
Modifié à 14 h 51 min le 16 novembre 2023

(Photo gracieuseté)

À monsieur Paul Saint-Pierre Plamondon, 

Je vous écris cette lettre d’opinion depuis le comté de Taillon à Longueuil, comté cher au Parti québécois pour avoir élu douze fois un candidat du Parti, dont les célèbres René Lévesque et Pauline Marois auxquels vous pourriez succéder, à en croire un récent sondage Léger qui vous met un point devant le premier ministre François Legault. Il est déjà temps à mon avis, de vous inviter à reconsidérer vos déclarations sur l’immigration et je me soumets bénévolement à cet exercice pour les raisons qui suivent.

L’immigration n’est pas un frein au Québec. Au contraire.

Brandir l’épouvantail de l’immigration pour créer et renforcer des divisions au sein de la société québécoise, instrumentaliser la crise économique actuelle due surtout à l’inflation et aux effets pervers de la pandémie et des guerres à travers le monde, pour pointer du doigt un bouc émissaire à l’instar de certains leaders controversés connus, ont toujours généré des clivages sociaux qui instaurent indéfiniment un climat délétère dans la société. #France. Les faits sont là et les milieux d’affaires, les milieux politiques et les milieux communautaires sont formels : le Québec a besoin d’immigration, beaucoup plus que les chiffres qui circulent.

Évoquer donc une « crise sociale sans précédent » ne servira à rien d’autre que cristalliser des peurs et accuser ceux qui arriveront de péchés établis dont ils ne pourront se départir. Je suis convaincu que vous ne souhaitez pas diriger un Québec dont l’économie sera mise à mal par une pénurie de main d’œuvre non résolue, dont la société sera alors incapable de fournir des services de base dans les hôpitaux, les garderies et les écoles pour ne citer que ces exemples-là.

Nul besoin de vous rappeler les chiffres que vous connaissez bien mais que vous écartez pour les besoins d’un discours idéologique qui nourrit votre popularité. S’il ne s’agissait pas d’un risque grave que celui de faire peur aux populations avec l’épouvantail d’un Québec envahi et rendu impuissant par des immigrés, je vous dirais c’est la politique qui veut ça. Mais non.

La crise sociale est déjà là et il faut des ressources pour la résoudre.

Le manque de personnel dans nos hôpitaux, écoles et garderies, dans nos administrations pour accélérer les traitements de dossiers, la pression sur nos entreprises, le manque de personnel dans les métiers de la construction pour justement construire des logements que vous craignez ne pas avoir, pour travailler dans nos garderies et accueillir nos enfants, enseigner dans nos écoles pour canaliser et former nos jeunes, prendre soin de nos aînés qui ont construit notre nation... et j’en passe : il faut des bras pour tenir le Québec et 64 000 nouveaux arrivants par an ce n’est même pas assez, dixit les milieux d’affaires et nos régions dévitalisées qui font des publicités pour attirer du monde.

Vous le savez, aucune société au monde ne s’est relevée de la crise de la COVID 19 sans séquelles et les conflits actuels à travers le monde ne favorisent pas l’essor économique de ce grand marché mondialisé. La solution n’est surtout pas de refuser des contributions qui viennent d’ailleurs. 

Permettez-moi de vous informer que les pays du Sud ne nomment pas de ministre de l’Immigration, non pas parce qu’ils n’accueillent pas de migrants, mais parce que les problèmes structurels auxquels ils font face en raison d’injustices historiques et de déséquilibres sociaux causés par l’impérialisme du nord et l’accaparement de leurs richesses par le Nord, ne leur laissent pas le temps de penser à des politiques migratoires. Seuls les pays riches disposent de ministères de l’Immigration parce que pour nombre de raisons qu’il serait superflu de rappeler ici, ils ont besoin de structurer l’arrivée de ressources humaines d’ailleurs pour maintenir leurs niveaux de vie et de richesses, surtout que cela permet en plus maintenir l’ordre actuel injuste entre pays riches et pays pauvres. Ces derniers, ainsi obligés par le sort, regardent partir leurs forces vives et manquent leurs chances d’avoir des bras et des têtes pour se construire. Les crises sociales sans précédent ne se passent donc pas au Québec. 

Votre projet d’indépendance a besoin de l’immigration

Et ce n’est pas moi qui le dis, c’est votre prédécesseur à la tête du Parti québécois Jacques Parizeau qui le dit dans sa célèbre phrase indiquant « les votes ethniques » comme une des raisons de l’échec du dernier référendum de 1995 sur l’indépendance du Québec. Vous devriez donc penser à rallier ces votes ethniques pour votre projet référendaire. De tels propos alors que tous les experts sont unanimes qu’il faut renforcer la démographie et la main-d’œuvre au Québec, est contre-productif pour l’idée d’un futur Québec indépendant. Pour être ici, parler et travailler en français parce qu’originaires de nos pays francophones, il est clair que nous comprenons l’importance du « fait français », et autant que les Québécois dits de souche, nous savons combien il est crucial de maintenir la place d’une nation francophone en Amérique du Nord.

Évidemment vous avez le droit de parler à votre « électorat », celles et ceux que vous pensez adhérents à une forme d’obsession anti-immigration. Mais je peux vous assurer que plusieurs de vos soutiens sont contents d’avoir des préposés aux bénéficiaires, des infirmières, des agents d’entrepôts, des éducatrices, des enseignants issus de l’immigration, et lorsque beaucoup d’écoles, d’hôpitaux et d’entreprises sont aux prises avec le manque de personnel et des bris de services, vos soutiens eux savent bien qu’il en faut plus de gens qui viennent d’ailleurs. 

Pour finir, monsieur Paul Saint-Pierre Plamondon, je tiens à vous féliciter pour votre grande capacité à vous démarquer dans les médias en tant que chef de parti. Soyez donc rassuré que c’est pour votre intérêt que je vous invite à faire le choix d’opter pour des propos dignes d’un chef de nation.

Cordialement.

Lovejoyce Amavi

Du chemin Roxham à Longueuil : le parcours d'un citoyen impliqué

- M. Amavi est aussi l'auteur de L’art de conjuguer à l’inclusif parfait : pour un vocabulaire adéquat de l’intégration et de l’inclusion