Portraits

Les municipalités, des acteurs de premier plan dans la lutte aux changements climatiques

le lundi 12 novembre 2018
Modifié à 6 h 14 min le 12 novembre 2018
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Les municipalités doivent plus que jamais mener de front la lutte aux changements climatiques, et la collaboration tant des scientifiques que des entreprises leur est nécessaire. Entrevue avec la présidente du Comité sur les changements climatiques de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et mairesse de Sainte-Julie Suzanne Roy. Q En juillet, l’UMQ a pris part au Forum mondial des villes intermédiaires au Maroc. Qu’est-ce que vous retenez de ce forum international? R C’était une première rencontre. Depuis COP21, il s’entreprend un grand virage: on prend conscience du rôle des villes à l’intérieur de ce grand défi des changements climatiques. Les phénomènes extrêmes, c’est dans les municipalités qu’on les vit. Ils affectent les infrastructures, c’est là que se font les interventions en sécurité civile. On a le devoir de rendre nos villes plus résilientes, de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, de sensibiliser la population et de changer nos façons de faire. Et je dis toujours qu’aucun colloque ne vaut la peine s’il ne va pas sur le plancher des vaches. Donc, ça doit se transporter dans l’action quotidienne. Q En comparaison aux autres villes participantes, celles du Québec sont-elles en retard? En avance? R Je ne dirais qu’on n’a pas de temps à perdre. On ne s’imaginait pas, il y a 10 ans, que ça irait aussi vite. Il va falloir accélérer nos interventions en faveur d’infrastructures plus vertes, en faveur de la conservation. Et, à 72% basée sur l’impôt foncier, je ne suis pas sûre que notre fiscalité est faite pour aller rapidement là-dedans. Q Les municipalités sont-elles sensibilisées à ce rôle qu’elles doivent occuper? R On le comprend par la force des choses. J’entendais le maire de Gatineau dire: "On a eu des inondations qu’on n’a jamais eues, des phénomènes climatiques jamais vécus. Et là, on les a eus en 4 ou 5 ans." On avait deux canicules par été; cette année, on en a eu huit. C’est exponentiel. Je disais à des experts d’Ouranos à quel point c’est effrayant que les canicules aient causé 200 morts. On m’a répondu que s’il n’y avait pas eu certaines actions faites en amont, il y aurait eu 1000 à 2000 décès. Malheureusement, on a l’obligation d’être conscient de l’impact de ces changements sur la façon de gérer nos villes. Q Alors concrètement, quelles sont les avenues possibles pour les villes? R L’interaction entre scientifiques et élus est un élément qui est fortement ressorti de nos conversations. En 2019, on va travailler pour tenir un sommet sur les changements climatiques, avec les élus et Ouranos. On a déjà mis en place un site web avec Ouranos, phareclimat.com, sur lequel on partage les bonnes pratiques. Ça donne une vitrine sur les changements climatiques, pour accroitre les initiatives et les partager. Q Une concertation avec les entreprises est-elle aussi souhaitable? Quand on a présenté Phare climat, les gens étaient extrêmement surpris qu’on ait fait ce maillage avec les entreprises, l’économie verte et circulaire, les scientifiques, les élus et les groupes environnementaux. Les initiatives ne peuvent pas qu’appartenir aux villes. L’économie verte va se développer, car les entreprises n’auront pas le choix d’aller vers l’énergie verte. Ça va développer de la richesse, une richesse plus verte. Et ce sera bénéfique pour tout le monde. Mais c’est de débuter la roue qui est toujours le plus difficile. Q Est-ce que la tendance à opposer économie et environnement se fait toujours sentir? R De moins en moins. Avoir une image plus verte, en plus d’être bon pour l’environnement, c’est bon pour les affaires. Tout le monde y gagne. Je suis extrêmement surprise de voir des entrepreneurs oser de nouvelles technologies. Particulièrement chez les jeunes entrepreneurs, on a cette sensibilité de vouloir mieux faire les choses. Pas plus rapidement ni moins cher, mais mieux à long terme, donc, sur le plan environnemental aussi. Q L’un des grands enjeux dans ce dossier est le transport. Que peuvent faire les municipalités? R C’est triste que l’on mette toujours les concepts de transport et d’environnement en contradiction. Pour avoir des adeptes du transport collectif, ce n’est pas compliqué: il faut prouver que c’est plus confortable, plus convivial et plus efficace que l’auto solo. Il est là le vrai défi. Alors il faut se donner le moyen que l’autobus passe plus vite que notre auto solo [par l’élargissement de l’autoroute 30, par exemple]. Il faut miser aussi sur la cohérence du transport collectif. Par exemple, penser à avoir des services de garde à proximité des stationnements incitatifs. C’est de repenser nos façons de faire. Sainte-Julie est à l’intersection de deux autoroutes engorgées. À 15h, c’est un stationnement de GES, des camions à perte de vue carrément arrêtés. Il faut prioriser la mobilité. Q Sentez-vous la population sensibilisée et prête à ces changements nécessaires? R On a fait un sondage et à ma grande surprise, les citoyens nous disent "Allez plus vite, accélérez vos actions en faveur de l’environnement." C’est extrêmement surprenant, et ce n’est pas juste chez les jeunes. Les ainés constatent aussi les effets des changements climatiques et ça les inquiète. Eux aussi veulent qu’on aille plus loin pour protéger l’environnement, même si ça coûte un peu plus cher.   Se donner les moyens Suzanne Roy préside le Comité sur les changements climatiques de l’UMQ depuis sa création, en 2016. La nécessité de mettre sur pied un tel comité est née du constat que les villes discutaient peu des enjeux avec lesquels ils devaient travailler dans ce domaine, en agissant comme premier intervenant en cas de sinistres, en posant des gestes en matière de protection du territoire et de protection de la biodiversité. À Sainte-Julie, les nombreux refoulements d’égouts qu’ont subi des résidents ont servi de premier élément de sensibilisation pour les élus. «Comment être inondé dans une ville sans cours d’eau? C’est parce que nos infrastructures répondaient à des normes d’avant les changements climatiques», évoque Mme Roy. «Comme municipalité, on est sur le front, mais on n’avait pas les moyens.»