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Le marché du crédit carbone commence à profiter aux agriculteurs

le jeudi 20 février 2020
Modifié à 15 h 24 min le 31 octobre 2019
Texte de Martin Ménard - Collaboration spéciale de La Terre de chez nous Les producteurs qui rêvaient d’être payés pour leurs actions visant à réduire les émissions polluantes peuvent se réjouir: le marché des crédits carbone démarre réellement et des projets agricoles commencent à en bénéficier. Les Fermes E. Notaro et Fils, situées à Sherrington en Montérégie, ont implanté des mesures d’efficacité énergétique et remplacé des combustibles fossiles par des biocombustibles. Cela leur a permis d’obtenir l’équivalent de 4290 tonnes de CO2 équivalent en crédits carbone, qu’ils ont ensuite vendu pour près de 5$ la tonne aux constructeurs du pont Samuel-De Champlain. L’ingénieur Jean-Luc Allard, de SNC-Lavalin, affirme qu’il s’agit d’une tendance de fond pour améliorer le bilan environnemental des grands projets. «C'est devenu assez généralisé. Il y a plusieurs appels d’offres où c’est déjà inclus», explique-t-il. Le courtier Frédéric Hamel, qui a négocié les crédits carbone des Fermes E. Notaro et Fils, fait remarquer que jusqu’à récemment, le marché des crédits était moribond. «Mais là, ça semble bouger. J’ai un client qui vient de me contacter. Il veut que je lui trouve entre 40 000 et 60 000 tonnes de crédits», se réjouit-il. Pollution compensée Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, une dizaine d’agriculteurs se partageront dans quelques semaines une somme de 10 000$ pour les crédits carbone engendrés par les arbres qui se trouvaient sur leurs parcelles de terres impropres à l’agriculture. Ces arbres en croissance captent du carbone et diminuent les émissions polluantes. Des entreprises et des citoyens peuvent acheter cette «réduction de pollution», appelée crédits carbone, pour compenser leurs propres émissions. Par exemple, une citoyenne a acheté des crédits carbone équivalant à 4,5 tonnes de CO2 équivalent, soit la plantation de 64 arbres, pour compenser les émissions polluantes créées par un vol Montréal-Dublin, en Irlande, pour trois personnes. Elle a acheté ses crédits carbone de l’organisme Carbone boréal, qui appartient à l’Université du Québec à Chicoutimi. Celui-ci plante des arbres chez les agriculteurs, calcule les crédits obtenus, fait vérifier le tout par un auditeur indépendant selon la norme internationale ISO 14064-3, vend les crédits et paie les agriculteurs. Claude Villeneuve, le professeur responsable, mentionne que l’engouement est grandissant. «Je prévoyais vendre 275 000$ de crédits carbone cette année. Nous allons plutôt atteindre les 500 000$ de ventes», affirme-t-il. Au Centre-du-Québec, Les Productions horticoles Demers viennent de vendre un premier lot de crédits carbone issu de l’utilisation des gaz d’un site d’enfouissement. «Je suis content, ça vient de débloquer. J’ai réussi à vendre des crédits que j’avais depuis 2010. C’est loin du prix que je m’étais imaginé au départ, mais ça couvre au moins les frais des consultants», mentionne le président Jacques Demers. Comme rien n’est parfait, certaines entreprises ont fait part à La Terre de leur déception face au marché des crédits de carbone. Les Serres Stéphane Bertrand n’ont toujours pas réussi à vendre des crédits enregistrés depuis 2004. Pénurie en vue Le spécialiste des gaz à effet de serre Francois Lafortune, professeur à l’Université de Sherbrooke, prédit cependant que le marché du carbone connaîtra non seulement un engouement significatif, mais que la demande dépassera l’offre à court terme. «Depuis deux ans, ça commence vraiment à décoller. La valeur va augmenter, car la demande va s’accroître. J’ai même l’impression qu’on va se retrouver avec une pénurie de crédits carbone d’ici quatre à cinq ans», juge M. Lafortune, qui justifie entre autres ses propos par l’engagement du secteur de l’aviation civile à compenser toute la croissance d’émissions polluantes par l’achat de crédits carbone. En chiffres 9,6 tonnes de CO2 * Émissions polluantes par Québécois (répartition incluant le secteur industriel) 1 tonne de CO2* Émissions polluantes d’un vol entre Québec et la République dominicaine 8 tonnes de CO2* Émissions polluantes d’une grosse camionnette (pick-up) qui parcourt 20 000 km 8 arbres Diminuent les émissions polluantes d’une tonne de CO2* durant toute leur vie * Co2 équivalent