Aider les abeilles autrement: des fleurs nectarifères plutôt que les pissenlits
Pour obtenir une seule cuillère à thé de miel, il faut le travail de toute une vie de cinq abeilles. C’est dire combien ces travailleuses sont vaillantes et donnent tout ce qu’elles ont pour nourrir l’humain.
« C’est un grand travail, elles offrent toute leur vie pour que nous puissions goûter ce miel. Nous sommes des voleurs en un certain sens. C’est pour ça que je les adore tant. S’il n’y a pas d’abeilles, on n’a rien. Je leur dis : longue vie, je vous aime », lance Ali Agougou, propriétaire de Miel Nature, l’une des plus grandes entreprises au Québec à faire affaire avec ces pollinisatrices essentielles.
Et pour les aimer, Ali Agougou les aime ses butineuses. « Quand on travaille de longues journées, on devient fatigués et là je m’installe à côté d’une ruche, je les regarde travailler, je les écoute et ça me ressource. Je retourne travailler plus serein, plus heureux », indique celui qui possède maintenant 1150 ruches pour alimenter son hydromellerie de Beauharnois. « Dans une ruche forte, on parle d’entre 80 000 à 100 000 abeilles. Ça en fait quelques-unes », lance celui qui a eu la chance de ne pas connaître d’hécatombe dans ses ruches depuis une année 2003 catastrophique.
Ali Agougou travaille par amour pour ses abeilles. (Photo Journal Saint-François - Denis Germain)
Respecter le produit
S’il respecte le travail de ses abeilles, il honore aussi l’or blond qu’elles offrent. « Actuellement, nous extrayons le miel à froid. Ça fait en sorte de conserver toutes les propriétés, toutes les vitamines et les minéraux. Nous travaillons à la température de la ruche, soit 36 degrés Celsius lors de l’extraction. Si on le fait plus haut, en chauffant le miel, on en perd les bienfaits. On ne doit pas chauffer le miel, il n’a pas besoin d’être pasteurisé, ce n’est pas un produit favorable pour les mauvais microorganismes », plaide celui qui dirige son affaire en ayant à cœur la qualité.
De plus grosses entreprises préfèrent chauffer le miel pour éviter qu’il ne se cristallise dans les bocaux sur les tablettes des épiceries. « Si le miel cristallise, on place le contenant dans un bain-marie et il redevient liquide. Mais on ne le chauffe pas dans un micro-ondes. On doit respecter ce que ces abeilles ont pris toute leur vie à produire », argumente Ali Agougou.
Pour tous les goûts
Il met de l’avant le travail de ses travailleuses en offrant maintenant 116 produits de qualité, des produits médaillés et reconnus partout. « On a voulu faire de Miel Nature une entreprise unique et je pense que nous y arrivons. Nous avons 25 sortes d’hydromels, toutes médaillées. Nous avons reçu 348 médailles dans des concours à New York, au Québec, ailleurs au Canada. Nous avons une distillerie avec du gin au miel, de l’eau-de-vie et la première vodka au miel. Enfin, nous offrons maintenant des bières de notre brasserie. Une blanche avec du miel de framboisier, une blonde avec du miel de trèfle et de pommiers, ainsi qu’une rousse avec du miel de sarrasin », lance l’entrepreneur qui sent encore l’envie et le besoin de travailler avec ses abeilles.
En plus de ses produits alcoolisés, on trouve des tartinades, de la gelée royale et du pollen, en plus, évidemment, du miel. Du miel récolté par de petites, mais très vaillantes abeilles qu’il faut à tout prix sauver en leur accordant tout l’amour qu’elles méritent. (Photo Journal Saint-François - Denis Germain)
Des fleurs nectarifères plutôt que des pissenlits
Les Défis Pissenlits (No Mow May ailleurs dans le monde) et autre Journée mondiale de l’abeille, célébrée le 20 mai, sont des outils de sensibilisation qui doivent servir de prétexte à mieux informer la population sur les abeilles et les autres pollinisateurs, croient des experts interrogés par Gravité.
Créée il y a quatre ans, la campagne Défi Pissenlits qui consiste à retarder la première tonte de gazon le plus longtemps possible au printemps gagne en popularité et en 2023, ce sont 155 villes, huit MRC, 33 entreprises et plus de 50 000 individus qui ont pris part à cette initiative.
« On pense qu’il n’y a qu’une seule sorte d’abeilles et qu’elles ne font que du miel. En fait, il y a plus de 20 000 espèces d’abeilles sur la planète, dont de 300 à 400 différentes au Québec. On connaît les mellifères, mais elles nuisent à la biodiversité si on y regarde de plus près », indique André-Philippe Drapeau-Picard, entomologiste et agent de recherche à l’Insectarium de Montréal.
Les abeilles qui produisent le miel sont exotiques. « Elles viennent d’Europe de l’Est et du nord de l’Afrique. Elles sont plus grosses que nos abeilles indigènes et viennent donc piger dans le garde-manger de ces dernières. Quand on crée des ruches urbaines, on crée un plus grand problème pour les abeilles d’ici qui sont souvent des abeilles solitaires qui vivent dans des branches mortes ou dans la terre », plaide l’expert.
Créer de la biodiversité
Pour lui le message est clair: il faut diversifier nos manières de faire. « Plutôt que de ne pas tondre sa pelouse, on peut laisser une partie de son terrain en friche pour aider les abeilles indigènes, planter des plantes nectarifères et indigènes qui vont aider tous les pollinisateurs comme les mouches, les oiseaux, les papillons et parfois même les chauves-souris. On peut aussi laisser un tas de branches mortes loin sur son terrain. Ça va aider encore plus », ajuste André-Philippe Drapeau-Picard.
Même son de cloche pour l’auteur du livre Pissenlit contre Pelouse, Une histoire d’amour de haine et de tondeuse, Claude Lavoie, qui affirme que le Défi Pissenlits ne sauvera pas les abeilles. « Ça ne leur nuira pas, mais c’est surtout un outil de sensibilisation au triste sort des pollinisateurs. Les pissenlits sont une bonne source de nectar pour ces insectes pollinisateurs, il y en a partout et, souvent, les fleurs sont proches les unes des autres. Mais un peu plus tard, il suffit de lever les yeux pour voir les fleurs dans les arbres, les pommiers. Ça, ça va être plus riche en matière de pollen », indique-t-il.
Du miel, mais encore
Quant à la fameuse affirmation que sans abeilles, les humains ne pourraient plus se nourrir, Claude Lavoie s’inscrit en faux. « Ça représente 10 % du volume de ce que nous mangeons. Par exemple, ici au Québec, il serait difficile de cultiver des bleuets, des canneberges ou des pommes. Ailleurs dans le monde, c’est le café et le chocolat qu’il ne serait plus possible de cultiver. Notre alimentation, comme celle des abeilles, serait moins diversifiée, mais nous pourrions quand même nous nourrir », lance-t-il.
« Ces mouvements servent à faire prendre conscience aux gens que nos insectes en arrachent et que nous devons provoquer des choses, mais de manière sensée, plus réfléchie », conclut-il.
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