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AECG: moins de viande autour de l’os que prévu

le mercredi 29 mai 2019
Modifié à 12 h 10 min le 29 mai 2019
Un texte de Julie Mercier et Myriam El Haïli - Collaboration spéciale de La Terre de chez nous En éliminant les droits de douane sur 98% des lignes tarifaires entre le Canada et l’Union européenne (UE), l’Accord économique et commercial global (AECG) devait constituer un véritable eldorado pour les exportateurs agroalimentaires du pays. En contrepartie, les producteurs laitiers d’ici devaient concéder l’entrée de 17 700 tonnes (t) de fromages européens. Près de deux ans après la mise en œuvre de l’entente de libre-échange, La Terre a voulu savoir si les agriculteurs canadiens profitent réellement de nouveaux accès commerciaux sur le Vieux Continent. Avant l’implantation de l’Accord, les agriculteurs européens craignaient une véritable invasion de viandes canadiennes. Exportation et développement Canada (EDC) laissait miroiter un potentiel de ventes de 1 G$ pour les éleveurs de bœuf et de porc canadiens. Près de deux ans plus tard, cette «explosion des exportations de viandes du Canada» ne s’est pas concrétisée. En 2018, les ventes de bœuf canadien en Europe par l’intermédiaire de l’AECG représentaient un maigre 451 t sur une possibilité de près de 15 000 t, pour un taux d’utilisation du contingent tarifaire de 3,1%. La même année, le Canada a exporté partout dans le monde près de 600 000 t de bœuf, calcule la Canadian Cattlemen’s Association (CCA). Pour leur part, les nouvelles exportations porcines vers l’Europe en vertu de l’AECG ont atteint 461 t l’an passé sur un potentiel de 25 000 t, soit un taux de remplissage du contingent tarifaire de 0,5%. À l’opposé, les fromagers européens ont profité de 99,1% de leurs droits d’accès au marché canadien. «Les Européens ont été plus vites que nous», note Christian Sivière, spécialiste du commerce international pour la firme Solimpex. En dépit du «déséquilibre commercial actuel», le marché de l’UE représente un «débouché énorme», estime néanmoins M. Sivière. Bœuf sans hormones L’exigence des Européens pour du bœuf élevé sans promoteurs de croissance – le fameux «sans hormones» – s’avère compliquée à satisfaire pour les éleveurs canadiens. «Il faut établir une filière complètement à part et ça ne peut pas s’improviser», indique Christian Sivière. À l’heure actuelle, environ 200 fermes sur les 60 000 du pays répondent à cette exigence. Dans les abattoirs, le lavage des carcasses pour l’exportation pose aussi problème. La CCA garde cependant espoir d’augmenter les exportations vers l’Europe, surtout que la valeur des envois là-bas a presque doublé entre 2017 et 2018, précise le directeur des services techniques de l’Association Mark Klassen. «Nous pensions que ce serait plus simple d’exporter là-bas, confie celui dont le quotidien consiste à aplanir les obstacles bureaucratiques. Il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de problèmes, tant au Canada qu’en Europe.» Pendant que les agriculteurs d’ici espèrent vendre davantage leurs produits en Europe, leurs confrères sur ce continent attendent les exportations canadiennes de pied ferme. Certains font d’ailleurs mauvaise presse aux produits de leurs «homologues du Grand Nord». «On sait que le Canada met en place en ce moment une filière sans hormones, interdites sur le marché européen, mais aussi des bovins bourrés aux antibiotiques, élevés dans des conditions effroyables, soutenait le député écologiste Yannick Jadot sur les ondes de Franceinfo en avril. Leurs bisons, bœufs et caribous finiront-ils par déferler dans nos assiettes? Promis, nous garderons l’œil bien ouvert.» Fromages et porc non compétitifs Si l’on ne retrouve pas plus de porc et de fromage canadien dans les conteneurs en direction de l’Europe, c’est parce que ces produits ne sont pas compétitifs sur le marché européen. Le président-directeur général du Conseil canadien des industriels laitiers du Québec Charles Langlois mentionne que les producteurs d’ici ne sont pas subventionnés comme ceux de l’Europe pour exporter leurs produits, que le prix du lait là-bas a chuté depuis l’abolition des quotas en avril 2015 et que la taille des entreprises de fabrication de fromage du Québec est de 10 à 12 fois inférieure à celles du Vieux Continent. Même situation du côté des ventes porcines à l’étranger: les opportunités sont meilleures en Asie, au Mexique et aux États-Unis, tandis qu’en Europe, le prix des produits canadiens est plus élevé que celui des produits européens. Or, en 2022, le contingent tarifaire atteindra 80 549 t en équivalent carcasse. «On verra [en 2022] où le marché sera rendu, mais pour le moment, ça ne représente pas une énorme opportunité pour nous», souligne le vice-président ventes, viandes fraîches d’Olymel Daniel Rivest. Ni Olymel ni DuBreton n’ont fait de démarches pour faire approuver leurs usines par les pays de l’UE pour l’instant. Rappelons que celle-ci est la deuxième productrice mondiale de porc après la Chine alors que plusieurs pays comme la France, le Danemark, l’Allemagne et l’Espagne tendent à s’imposer de plus en plus comme de gros joueurs. Bon pour certaines cultures, mais des barrières subsistent L’AECG aura au moins été bénéfique pour le maïs-grain, l’un des seuls produits agricoles canadiens à connaître une croissance positive de ses exportations depuis l’abolition des tarifs douaniers. Si ces dernières se chiffraient à près de 192 M$ en 2016 et à 194 M$ un an plus tard, celles vers l’Europe atteignaient près de 382 M$ en 2018. Le Québec en aurait même directement profité en voyant ses ventes de maïs-grain à l’étranger augmenter légèrement, selon le directeur régional de Richardson International au Québec Dante Manocchio. Cependant, les exportations des autres produits de grandes cultures sont restées stables au Canada, notamment à cause de barrières techniques imposées par l’Europe. «Tout comme dans l’industrie des viandes, l’Union européenne continue d’imposer des barrières techniques très restrictives et souvent prohibitives sur les importations de soya», affirme le directeur général à Soy Canada et ancien dirigeant du Conseil des viandes du Canada Ron Davidson. «Dans les canneberges, les bleuets, le sirop d’érable et les fruits de mer, nous avons des indicateurs qu’il y a des hausses d’exportations de quelques dizaines de millions de dollars, mais ce n’est pas faramineux», souligne le président de Groupe Export agroalimentaire André A. Coutu. Il fait remarquer que le déficit commercial agroalimentaire entre le Québec et l’Europe se creuse d’année en année. Cette réalité occasionne «un trou de 1,9 G$ à combler». À qui profite l’AECG? L’Accord économique et commercial global (AECG) ne concerne pas que les denrées agroalimentaires. La comparaison des exportations canadiennes précédant l’Accord avec celles suivant son entrée en force révèlent certains gains pour le Canada. D’octobre 2017 à juillet 2018, les expéditions canadiennes vers l’Union européenne ont augmenté de 3,3% par rapport à l’année précédente. L’aluminium (+206%), les véhicules automobiles et leurs pièces de rechange (+96%), les produits chimiques inorganiques (+78%), les produits pharmaceutiques (+46%) et les combustibles minéraux et le pétrole (+45%) affichent la croissance la plus rapide, calcule le Service des délégués commerciaux du Canada. «Neuf mois de données ne sauraient constituer un horizon à long terme. Néanmoins, cette brève période de temps nous a permis d’observer des gains importants dans de nombreux secteurs d’exportations canadiennes», souligne Affaires mondiales Canada. AECG 101 L’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne (UE) est entré en vigueur le 21 septembre 2017. À l’époque, le gouvernement fédéral qualifiait l’entente de «l’une des initiatives commerciales les plus ambitieuses du Canada». Par l’élimination des droits de douane sur un horizon de six ans, l’AECG permet à une foule de produits du Canada de gagner plus facilement le marché européen. Ce dernier compte 500 millions de personnes dans 28 pays. L’UE constitue la 2e économie mondiale de même que le deuxième partenaire commercial du Canada après les États-Unis. D’ailleurs, Bruxelles et Washington réfléchissent actuellement à une éventuelle entente commerciale. L’Union a toutefois fait savoir qu’elle retirait l’agriculture de toute négociation.